La finance islamique, alternative à la finance conventionnelle
La finance islamique née dans les années 1970 repose sur le principe du respect de l'éthique religieuse musulmane. Cette finance alternative qui n’était qu’un marché de niche pesait déjà plus de 2.200 milliards de dollars en 2016.
S'il pourrait atteindre les 3.000 milliards de dollars dans les dix prochaines années, ces chiffres restent bien modestes lorsqu’ils sont comparés aux 100.000 milliards gérés par la finance mondiale. Jetons un œil sur ce que représente la finance islamique en France, ses principes fondamentaux et son essor.
Les principes fondamentaux de la finance islamique
La finance islamique fait référence aux différentes transactions et produits financiers (allant de l'épargne à l'investissement en passant par le prêt) qui doivent se conformer au Coran (principale source du droit islamique), à la sunna (retranscription des actes et propos du prophète Mahomet) et à la charia (règles doctrinales qui codifient certaines pratiques économiques et sociales d'un musulman).
Parmi les principes fondamentaux déterminant les pratiques interdites (haram) et les pratiques autorisées (halal) dans la finance islamique, mentionnons :
l’interdiction de la collecte d’intérêts et de l’usure (riba) par les établissements financiers. L’argent ne pouvant pas être créé sans travail, toute création de richesses qui ne repose pas sur des transactions réelles est interdite. La finance islamique admet pourtant le bénéfice, qui est le produit de la différence de valeur des transactions réelles ; alors que l’intérêt provenant de la création d’argent ex nihilo est tout simplement interdit.
le partage équitable des pertes et profits (PPP) et une redistribution de richesses entre l’emprunteur et le prêteur.
l’interdiction d’investir dans des activités amorales et contraires aux principes de la charia ; comme la fabrication ou la vente d’alcool et de tabac, la pornographie, les jeux de hasard, l’industrie porcine et l’industrie d’armement.
l’interdiction de la spéculation (Maysir et Qimâr) ou de la vente des produits dérivés, et la vente à découvert ( contrats à terme, options et swaps). Cependant la vente de biens relevant d’évènements aléatoires, comme la négociation des prix sur les matières premières agricoles avant la récolte, est autorisée. La finance islamique accepte aussi certains contrats d’assurance comme les assurances-vie, suivant le principe de précaution, et non le principe d’incertitude.
Quelles sont les différences entre la finance islamique et la finance conventionnelle ?
La majorité des services et des produits disponibles dans la finance conventionnelle ressemble fortement aux produits offerts dans la finance islamique. En effet, ces deux types de finance portent sur des opérations d’investissement, sur des transactions de prêt et sur l’offre d’autres produits financiers. Notons cependant qu’en finance conventionnelle, les décisions sont prises dans le but d’optimiser le principe de risque-rentabilité. Les banques traditionnelles se rémunèrent en percevant des intérêts sur les crédits qu’elles octroient.
La finance islamique ne laisse aucune place à la spéculation en mettant un accent particulier sur une consommation éthique et participative, et une répartition équitable de la richesse au moyen de pratiques commerciales moralement acceptables. C’est la fameuse pratique des 3P : Partage – Pertes – Profits.
Une étude comparative sur l’efficacité et la stabilité des banques islamiques et conventionnelles publiée en 2012 révélait que si les frais de fonctionnement des banques islamiques étaient plus élevés que ceux des banques conventionnelles, elles disposaient cependant de services d’intermédiation financière supérieurs et présentaient aussi une meilleure qualité d’actifs dans leurs bilans. Ces deux derniers facteurs justifiaient ainsi leur meilleure résistance face à la crise financière.
En résumé, lorsque vous choisissez de confier votre argent à une banque islamique, vous serez protégé des intérêts (riba), de la spéculation (maysir et qimâr), de l’incertitude (gharar) et de l’illicite (haram).
Émergence de nouveaux produits financiers avec la finance islamique
Parmi les différents produits financiers « halal » disponibles dans la finance islamique, il y a :
le mode de financement « sans participation » ;
le mode de financement « avec participation » ; et
le Sukuk d’investissement.
Le financement sans participation
Le financement sans participation vise essentiellement les activités commerciales comme l’achat ou la vente d’actifs. Les contrats financiers les plus utilisés dans cette catégorie sont le mourabaha et l’ijara.
Le « mourabaha » est un contrat de vente soumis à des clauses précises de la charia qui est utilisé par les banques islamiques en remplacement des prêts à intérêt. Suivant ce contrat, la vente doit être instantanée, l’objet vendu licite et le prix doit clairement être affiché et justifié. Le mourabaha est aussi utilisé comme une source de financement en faisant de la banque un intermédiaire financier entre l’acheteur et le vendeur. Cette dernière achète des équipements pour le client pour ensuite les lui revendre à un prix augmenté, après avoir ajouté des « frais administratifs » substantiels.
L’ijara se rapproche plus d’un crédit-bail ou d’un contrat de location en finance conventionnelle. Contrairement au mourabaha, ce type de contrat financier ne transfère que l’usufruit du bien. C’est-à-dire seulement le droit de l’utiliser, et non de détenir son entière propriété.
Le financement avec participation
Le financement avec participation est considéré comme un partenariat d'investissement entre deux parties pour l'acquisition d'un actif. Ce contrat financier repose sur le principe de partage des pertes et profits (PPP) selon des termes fixés à l’avance.
Le « moudaraba » est un contrat de partenariat passif dans lequel la banque se limite seulement à fournir le capital financier à l’entrepreneur, et à supporter totalement la perte en capital lorsque le projet échoue. Elle ne détient aucun droit de regard sur la gestion du projet. Ce contrat s’apparente au fonctionnement d’une société en commandite dans la finance conventionnelle.
Dans le cas d’une « mouchara », la banque se réserve le droit d’intervenir dans la gestion du projet. La perte est supportée par l’ensemble des associés suivant un apport en capital préalablement déterminé. Ce type de contrat actif entre l’entrepreneur et la banque s’apparente à une joint-venture souvent rencontrée dans la finance conventionnelle.
Le sukuk d’investissement
Les « sukuk » ou encore « soukouks » sont des obligations classiques permettant le financement de projets spécifiques. Ces obligations sont émises par des établissements financiers islamiques, par des États (Bahreïn, Malaisie, Arabie Saoudite…) ou encore par des entreprises. Contrairement à l’émission des obligations classiques, les soukouks doivent disposer d’un actif sous-jacent. En d’autres termes, l’investissement ne doit pas reposer sur l’émission d’une dette, mais sur un actif tangible détenu par l'émetteur, et qui servira à rémunérer ou à rembourser le client selon la performance du projet.
La finance islamique en France : un essor encore timide
Bien que comptant plus de 40 millions de clients dans le monde, la finance islamique reste principalement concentrée au Moyen-Orient (en Iran et en Arabie Saoudite) et en Asie du Sud-Est (Malaisie). Plusieurs pays de l’Occident ont aussi développé un intérêt croissant sur son potentiel car elle présente des caractéristiques intéressantes en matière de transparence, d’éthique et surtout de régulation bancaire.
Le Royaume-Uni fait office de précurseur de la finance islamique en Occident avec l’ouverture de « l’islamic bank of Britain » en 2004, une première en Europe occidentale. De nos jours, il existe au moins vingt banques, dont deux totalement islamiques, qui proposent des services financiers conformes aux prescriptions de la charia. La Financial Conduct Authority (FCA) a créé des normes pour réguler ce nouveau type de produit financier en ouvrant un département spécifique totalement dédié à la finance islamique.
Si la France s’est aussi lancée dans la course, notons que la finance islamique n’a pas encore pleinement trouvé sa place à côté du marché bancaire traditionnel dans l’hexagone. Aucun grand établissement bancaire français ne propose aux clients d’investir dans des produits conformes à la loi islamique. En décembre 2008, le ministère de l’économie annonçait déjà des aménagements fiscaux pour favoriser les montages de finance islamique afin d’attirer les investisseurs du Proche-Orient. Ces mesures devaient couvrir deux principaux produits financiers islamiques que sont la murabaha et les sukuk.
Parmi les mesures d’aménagement, l’administration fiscale avait alors décidé la neutralité fiscale des opérations de murabaha au regard des droits d’enregistrement (le double transfert de droit de propriété ne doit pas donner lieu à des doubles droits d’enregistrement), et la déductibilité fiscale de la rémunération versée au titre des sukuk.
Malgré les efforts dans ce sens, la finance islamique peine à se développer en France à cause notamment des lenteurs administratives, et surtout du fait que la population musulmane française issue majoritairement du Maghreb (bien que trois fois plus importante que celle de la Grande-Bretagne) n’est pas rompue aux pratiques de la finance islamique à l’image des populations malaisiennes ou pakistanaises vivant outre-Manche.
Certains établissements bancaires islamiques ont ouvert leurs portes en France à l’image de « NoorAssur », une start-up spécialisée dans la finance islamique, ou encore « France Sukuk Courtage », une société civile en placement mobilier proposant un produit d’épargne immobilier répondant aux critères de la charia.
Les perspectives de développement de la finance islamique
En dépit des perspectives de développement dans les pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord, il faut noter que la finance islamique a encore beaucoup de mal à trouver ses marques en Europe pour différentes raisons. Les institutions financières offrant des produits « charia-compatibles » doivent recevoir l’aval de l’Organisation de comptabilité et d’audit des institutions financières islamiques organisme islamique (AAOIFI) qui est en charge de ce contrôle. En outre, comme pour les autres produits financiers commercialisés en France, les produits de la finance islamique doivent recevoir un agrément délivré par l’Autorité des Marchés Financiers (AMF).
Enfin, les craintes économiques et sociales liées à la crise de la dette de la zone euro ont relégué les questions de développement de la finance islamique dans les banques traditionnelles au second plan. Avec une population musulmane très élevée (près de 10% de la population totale) et une demande croissante de la finance éthique, le potentiel de développement de la finance islamique est important en France. Les perspectives à long terme de la finance islamique sont très prometteuses car elles reposent sur le potentiel d'un marché représentant près d'1,6 milliard de musulmans dans le monde.
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